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Eric Trannois, photographe

Mohéli : Fomboni, une micro capitale

Le marché est aussi le rendez-vous de tous les taxis brousse
Fomboni, la « capitale » de Mohéli, la plus petite des quatre îles des Comores, s’étale sur plus de deux kilomètres le long de « la » route, la seule, qui fait presque le tour de l’île. Deux kilomètres alors que l’ensemble de l’île ne compte guère plus de trente mille habitants : c’est dire si l’on respire dans cette « capitale ». Le béton n’a pas encore trop envahi ce gros village composé essentiellement de bangas, cases de terre ou en feuilles de coco tressées. Les toits sont recouverts de raphia, comme dans toutes les Comores et à Madagascar. Visite guidée.

Le marché

Pour pénétrer l’âme d’une village, d’une ville, il n’est pas de meilleur endroit que le marché. C’est le lieu de toutes les rencontres, les échanges, le cœur de la vie collective. Fomboni n’échappe pas à la règle. Ici, c’est un vaste espace plat à quelques centaines de mètres du village, en bordure de mer, au milieu d’une plantation de cocotiers parsemée d’immenses manguiers. Une image de carte postale? Peut-être, mais bien réelle. Dans ce décor de rêve, un petit quelque chose n’apparaîtrait jamais sur une carte postale : le souffle de la vie. Une vie calme, sereine, mais active. Des gens se déplacent, se posent, parlent, rient dans un léger brouhaha que les feuilles de cocotiers, suspendues haut dans le ciel estompent comme le fait la neige quand elle recouvre une ville occidentale. Étrange paradoxe alors que la température, même dans l’ombre avoisine ou même déplace les trente degrés.

Très tôt le matin, les taxis brousse débarquent vendeurs et marchandises. Dès midi, ils auront quasiment cessé de faire la navette entre les quelques villages de l’île et Fomboni. Les déplacements deviennent alors très aléatoires et il n’est pas rare de devoir patienter plusieurs heures au bord de la route.



Au milieu des étals dispersés, le marché couvert, construit récemment, est constitué d’un bâtiment carré, très haut dont la toiture est évidée au centre. De grandes arcades rappellent l’architecture de la Grande Mosquée de Moroni. Une pente douce permet aux eaux de pluie d’être récupérées dans un bassin recouvert de petits carreaux de céramique bleue claire. Il est vide. La saison des pluies n’a pas encore vraiment commencée en ce mois de novembre.

Un groupe de bouénis (nom donné localement aux femmes) est installé sous l’immense manguier. Elles sont assises devant leur étal qui ne propose que quelques mains de bananes, quelques piments, quelques morceaux de coco séchés. Au final, l’équivalent de quelques francs pour toute une journée de présence. On parle bien de présence. Elles ne donnent vraiment pas l’impression de  » travailler  » comme nous l’entendons en occident. On discute, on rit, on s’engueule… jamais bien longtemps, mais intensément. Chaque discussion devient vite interminable. Les problèmes ne se règlent jamais en trois mots, il faut que chacun ait le temps de faire valoir ses arguments, dans les moindres détails.

Ballet des taxis brousse, chargeant et déchargeant régimes de bananes et passagers. Aucune paroi pour arrêter et renvoyer les bruits qui s’évaporent, respectant le calme de l’endroit.

Quand on veut quitter Fomboni pour la brousse, c?est un endroit stratégique : tous les taxis passent par ici. La patience fait aussi partie de la stratégie. Patience pour trouver un véhicule, mais patience également pour discuter les prix : ils peuvent être multipliés par dix pour la même course!

Le port

A défaut d’un autre mot, on utilisera « port », mais en fait, il n’existe aucune infrastructure à Fomboni : ni digue pour arrêter les vagues, ni même un phare. Si l’on excepte un quai qui s’avance en pleine mer, perpendiculairement à la côte et devient inutilisable dès que la mer s’agite un peu. D’ailleurs, les boutres qui accostent à Mohéli ont fini par renoncer à l’utiliser. Ils préfèrent mouiller à proximité de la plage pour effectuer leurs chargements dans un va-et-vient de pirogues. Comme avant.

Pour la petite histoire, ce quai avait été prévu à Bandar Salama, un village jouxtant Fomboni. Mais le « terrain », comme on l’appelle ici, s’y trouve déjà et les autorités ont refusé que ce petit village disposent de tant d’avantages. Le « terrain », c’est le terrain d’atterrissage. On se refuse, là aussi, à parler d’aéroport. Cette guerre de clochers fait qu’une des rares infrastructure de Mohéli est quasiment inutilisable. Ce quai a été construit par la Colas, entreprise française de BTP, également présente dans toute la région, Afrique comprise. Elle a construit plusieurs de ces quais à Mayotte, et donc possède la technique, sauf qu’à Mayotte, le lagon protège des vagues du large…

Le village

Fomboni s’est « développée » le long de l’unique route qui longe la côte. A l’est, le port et à l’ouest « LA » station service de l’île et un hôtel, le « Relais ». Entre les deux, trois bons kilomètres au cours desquels on croise les services proposés dans l’île : quelques administrations, deux banques, le bureau de poste, le « Centre Hospitalier Régional de Fomboni », le Centre de Ressources et… les O.N.G.

Dès que l’on s’écarte de cette colonne vertébrale, on retrouve un village identique aux autres : cases de raphia, bangas en terre… très peu de béton. Le tout parsemé çà et là de quelques échoppes proposant toutes les mêmes produits de base, huile, farine, sauce tomate, lait en poudre.


Fomboni est irriguée par un réseau de chemins où rien ne traîne

Le plus frappant, surtout quand on arrive de Mayotte, c’est le côté « coquet » des cases. Ici, un petit carré entouré d’une minuscule barrière de bambou abrite quelques fleurs. Là, une haie de lauriers roses protège l’habitation en lui apportant ombre et fraîcheur. Les ruelles sont propres, pas de canettes de Coca-cola ou de bière, pas un sac plastique. Il faut dire qu’on ne trouve guère ces sources de pollution dans les boutiques. C’est en parcourant des endroits comme Mohéli qu’on s’interroge sur les « bienfaits de la civilisation ». Vaste débat! Mais surtout, surtout, on se dit qu’il faut absolument ne pas laisser se reproduire les erreurs grossières commises sur l’île voisine où il n’est plus question de mettre le pied dans une rivière tant elles sont polluées, où les ruelles ressemblent plus à un dépôt d’ordures qu’à tout autre chose. On s’interroge toujours sur ce que peuvent penser les touristes, qu’on tente d’attirer à Mayotte à grand frais, quand ils parcourent les rues de Mamoudzou et qu’ils découvrent l’ampleur de la pollution domestique.


Encore peu touchée, Mohéli est déjà sensibilisée à la protection de l’environnement

Des indices sont là pour nous inquiéter sur le devenir de Fomboni. Les détritus arrivent sur la plage et là non plus, il n’existe aucune structure pour gérer les déchets qui ne manqueront pas d’affluer. Nul doute que l’arrivée de visiteurs, de plus en plus nombreux, le retour de Mohéliens partis en France ou même à Moroni vont amener de nouvelles habitudes de consommation, une nouvelle manière de vivre. Pour l’instant, Mohéli vit encore au dix-neuvième siècle, mais ce n’est plus qu’une question de quelques années. Si les villages de brousse et les quelques animateurs qui « gèrent les affaires » sont sensibles à l’environnement, il n’est pas certain qu’il en soit de même à Fomboni qui souffre déjà du syndrome de la capitale.


Dès que la nuit tombe sur Mohéli, la vie semble s’arrêter. L’absence d’éclairage public fait rentrer les gens chez eux, autour d’une lampe, à pétrole le plus souvent. L’électricité, c’est pour les riches. Les jeux des enfants cessent, le silence tombe, le calme s’installe, encore plus présent que dans la journée.

Une vie paisible, mais pleine d’envies de rejoindre le « grand concert des nations »…



Séance de « cinéma »

Samedi soir à Fomboni… Les occupations ne sont pas légion. Alors, on se « fait un resto », comme il n’y en a qu’un à Fomboni, le choix est vite fait, ce sera chez « Akmal ». Sur le chemin du retour, un attroupement devant un banga s’agite. Surprise : c’est le cinéma. Sur la façade de terre battue, un antique caisson plus ou moins protégé par une vitre annonce le programme de la soirée : un film indien. Pourquoi pas?

– C’est combien l’entrée?

– Cinquante francs (environ 10 centimes d’Euro)

Ce qui représente un risque financier acceptable. On paye, on entre. En baissant la tête pour ne pas heurter la barre de bois qui fait office de linteau.

Une trentaine de personnes sont déjà assises sur des planches à peine surélevées du sol de quelques centimètres par des parpaings dans un joyeux babillage évoquant une salle de classe. Devant les « spectateurs », une télé, un magnétoscope qui ont au moins connu la guerre du Golfe. La première. Sur l’écran, entre les parasites, on devine une image tremblotante, vaguement colorée. Les bandes annonces se succèdent, entrecoupées de quelque pubs pour une bijouterie… indienne.

Le film commence, les discussions se poursuivent. Les parasites s’atténuent, ou les yeux se sont habitués. Après avoir tenté vainement de comprendre le propos du film pendant une demi-heure, on finit par abdiquer.

– On s’en va?

– On s’en va!

La nuit noire nous avale. L’agitation se poursuit autour du banga. A part quelques rares commerçants indiens, personne ne pratique la langue parlée dans le film. On est donc en droit de penser que le public ne comprend pas grand chose aux drames qui se déroulent sur l’écran…

Mais, ça bouge, ça vit et c’est une nouvelle occasion de se réunir. N’est-ce pas là le plus important?

Eric Trannois – 2000


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